Dilemme cornélien

Le 3ièmemot : cornélien

Un dilemme Cornélien : 

Un dilemme dans le langage courant est un choix difficile entre deux options ou alternative. Le dilemme appelé́ « cornélien » correspond aussi à un choix impossible entre deux options parce que quelle que soit l'option choisie, ce choix entraînera des conséquences négatives. Il porte le nom de son inventeur Pierre Corneille, qui l'expose dans plusieurs de ses pièces, notamment Le Cid et Polyeucte. 

Dans la pièce Le Cid, Rodrigue, qui doit épouser Chimène qui l'aime et dont il est amoureux, doit venger l'honneur de son père « bafoué » par le père de Chimène. La querelle des deux vieillards rejaillit sur la destinée des deux jeunes gens : si Rodrigue obéit à son devoir, il doit tuer le père de sa promise en perdant son amour ; s'il refuse la vengeance au profit de l'amour, il manque à son devoir et portera toute sa vie la marque de la lâcheté́. Dans la pièce Rodrigue choisit le devoir.

On parle de dilemme ou de choix cornélien quand une situation est caractérisée par un sentiment et le devoir, ce qui fait que quel que soit le choix le résultat est toujours douloureux.

Dans le Dictionnaire historique de la langue française, « ce terme de logique, le dilemme, s’est répandu à propos d’une alternative à des termes également insatisfaisants» (1662, Pascal). Il est devenu courant pour « choix difficile entre deux possibilités(vers 1940) », sens qu’enregistre le Trésor de la langue française qui le définit comme la « nécessité dans laquelle se trouve une personne de devoir choisir entre les deux termes contradictoires et également insatisfaisants d’une alternative ». 

Corneille et ses contemporains connaissaient donc le dilemme, mais donnaient un autre sens à ce terme ; par ailleurs et concurremment, ils ont bien rendu compte de ce que nous appelons « dilemme » mais le nomment autrement – et l’on peut dès lors faire l’hypothèse qu’autrement désigné, il ne s’agit pas tout à fait du même objet. 

Dans son Dictionnaire universel, Furetière définit ainsi le dilemme : « Terme dogmatique, qui se dit d’un argument fourchu, qui après avoir divisé une proposition en affirmative et en négative, fait voir de l’absurdité des deux côtés.» 

Dès lors, et comme on pouvait s’en douter, la diffusion et l’emploi quasiment systématique du terme ne sont pas neutres, et ont des conséquences importantes quant à la manière dont on comprend, dont on lit, voire dont on peut jouer Corneille, soit qu’on le tire du côté du tragique, soit qu’on garde inconsciemment trace des premiers contextes d’emploi de ce terme de logique. Car malgré qu’ils en aient, les utilisateurs du « dilemme » contribuent aussi à la constitution d’un Corneille faiseur de pointes, d’antithèses, froid, artificiel… Ils limitent par ailleurs généralement ce qui, chez Corneille, est un constituant profondément organique, qui nourrit l’ensemble de l’action, la relance, et produit du pathétique continu, au seul monologue délibératif, et même au plus célèbre des monologues délibératifs cornéliens. Il n’est pas interdit de préférer à l’économie et à la pseudo-efficacité du terme de « dilemme » la plasticité lexicale et conceptuelle de ceux de « délibérations », « oppositions » ou « discours pathétiques.

Vous voyez ainsi que l’usage de mots et d’expression conduisent parfois à un abus de langage. Il n’est pas rare d’entendre ici ou là des propos qui nous font croire à une certaine culture de celui qui les utilise mais en fait il est plus rare que ces mêmes personnes en connaissent la vraie définition.

Le faux dilemme, cornélien ou non, est très commun en politique. Il est souvent caché dans des questions ou des affirmations trompeuses. Il est une erreur au niveau de la logique, où la personne utilise incorrectement l’argument disjonctif (qui se fait par ou, soit que, tantôt... tantôt). Enfin, le faux dilemme vise à orienter sournoisement le choix de l’adversaire ou du destinataire (ou interlocuteur) en lui anéantissant toute autre alternative. 

Citons en exemples quelques phrases prononcées par nos politiques : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », « Ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous ». Propos réducteurs plus que choix cornélien !!! 

Alain Brousse

22 avril 2021