Les autres et nous peut-être ?

« L'indifférence fait les sages et l'insensibilité les monstres »  nous dit Denis Diderot et pour Anatole France, « il y a pire que l’injure, c’est le silence de l’oubli ou de l’indifférence ». Deux citations très différentes sur un sujet qui nous touche tous, l’indifférence que nous avons rencontré un jour ou l’autre, indifférence que nous avons aussi donné sans nul doute.

Qui un jour n’a pas été touché par de l’indifférence,  perceptible  comme étant l’expression de la froideur, du détachement, d’une insensibilité ; les qualitatifs ne manquent pas, et pourtant l’indifférence est une notion qui n’est pas forcément simple à définir.

L’indifférence n’est-elle qu’une absence de sentiment ?

Indifférence et sentiment, ne sont-ils pas inappropriés ?

L’indifférence n’est-elle liée qu’aux émotions à laquelle elle renvoie, le sujet est vaste et chacun a sans doute son ressenti devant une indifférence, l’indifférence étant prise au sens large.

Au premier abord l'indifférence semble indiquer un manque : c'est l'état de celui qui n'éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte. L'indifférence ne serait en fait que sorte d’insensibilité, une forme d’incapacité à aimer qui conduirait à l’absence de désir et à l'apathie.

On pourrait entendre dans la notion d'indifférence et dans l'attitude de l'indifférent  le signe d'un rapport difficile avec la différence, même si c’est un peu jouer sur les mots : ce serait une incapacité à se laisser changer par l'émotion, mais aussi une négation de la différence, donc nous conduisant à l'enfermement sur soi.

Indifférence et égocentrisme seraient donc liés ? Tout indifférent serait un égoïste en puissance, encore une notion difficile à traduire dans la réalité. Nous savons bien que tout à chacun à sa part d’égoïsme, nous avons aussi été à un moment ou à un autre indifférent aux autres parce que trop accaparés par nos problèmes.

Et si nous posions la question autrement : l'indifférence porte-t-elle toujours sur ce qui n’est pas moi ?

Peut-on être indifférent à soi ?

On sait qu’une personne anorexique peut se laisser mourir, mais si elle semble indifférente à l'état de son corps, il ne l'est pas à l'image idéale qu'elle a d’elle-même...

Bien des gens, de par le peu de soins dont ils entourent leur apparence semblent indifférents à leur aspect, c’est-à-dire à l’image qu’il renvoie d’eux même.

L’indifférence est multiple chez une même personne, indifférence complète, par exemple, dans les transports en commun d’une femme pourtant extrêmement sophistiquée, plus pour se protéger des autres, sans doute.

De plus, on peut se demander s'il n'est pas nécessaire d'être indifférent au malheur des autres pour être heureux ?

Indifférence, simple sensiblerie, repli sur soi ; que l'on ne se raconte pas d'histoires : le spectacle de la famine et des guerres racontées au journal télévisé n'empêche pas grand monde de continuer son repas. Indifférence de bien des parents, pour nos enfants, installés devant des jeux vidéo hyper violents ? Indifférence de ces mêmes enfants qui tuent sans connaitre la valeur de la Vie.

Indifférence devant une incivilité même plus remarquée ? Peur aussi de la réaction de celui qui engendre une incivilité.

Posons-nous la question qui vient tout naturellement: peut-on être vraiment heureux en étant indifférent au malheur des autres ?

Cependant la définition de l'indifférence comme état de celui qui n'éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte, peut être entendue tout à fait différemment.

Pourquoi ?

Parce ce que ces termes ont été utilisés par bien des philosophes pour décrire l'état équilibré du Sage. Le Sage, pour pouvoir commenter se devrait de ne pas avoir une implication directe, se plaçant ainsi dans une position d’observateur, capable de se distancier, d’éluder ses sentiments qui pourraient entraver la compréhension des sentiments d’autrui.

Ainsi, même si cette définition est négative, elle désigne une positivité extrême qui dépasse de loin ce qui fait le quotidien de nos existences.

L'indifférence ici ne serait pas manque de sensibilité à l'égard des souffrances des autres, et un manque d'appétit de vivre, mais au contraire un amour inconditionnel de la vie et compassion envers tous.

Avouons que l’indifférence vue sous cet angle a alors un aspect nettement plus sympathique, ouf (!!), je peux donc être indifférent par sagesse !!!

Justement, le Sage, selon Epicure, ne cherche pas tous les plaisirs, contrairement à l'image commune, il est dans le plaisir d'exister, plaisir en repos qui est absence de douleur. Son amour de la vie ne s'enracine pas dans la peur de mourir, il n'est pas inquiet de la mort toujours possible parce qu'il ne désire pas vivre éternellement : le présent lui suffit. Et si le sage ne connaît ni la crainte, ni l'espoir, c'est qu'il sait qu'il n'y a que le présent qui existe, il est alors classique de dire que la crainte et l’espoir ne portent que sur l'avenir. C’est un encouragement à vivre dans le présent et non dans un futur incertain, que nul ne peut maitriser. Si le sage est apathique, c’est-à-dire sans passion, il n'en ressent pas moins la sympathie universelle qui l'unit à tout et à tous.

Il est "citoyen du monde" parce qu'il reconnaît et accepte la différence et le changement partout.  

Ainsi expliquée l'indifférence est-elle une qualité ou un défaut ? Il y a plusieurs façons d'être indifférent, c’est chose acquise.

Elle peut être une qualité quand elle se met à l’écoute des autres, prenant ainsi une certaine distance pour mieux évaluer les problèmes de l’autre. Elle est égoïste quand elle refuse de voir la souffrance, la douleur, la solitude.

L’indifférence gagne-t-elle du terrain ? Notre société est réputée pour être individualiste, c’est vrai et faux en même temps. Les français sont généreux, ils n’hésitent à donner pour le téléthon, les restaus du cœur et autres associations caritatives. Et même s’ils sont parfois indifférents à la misère du monde, c’est pour se protéger, comment vivre enfin dans un sentiment de culpabilité permanent ?